De nombreuses études françaises et européennes parues en 2023 soulignent que les salariés français souffrent de mauvaises conditions de travail. Les Français aiment le travail mais travailler leur paraît de plus en plus dur, désincarné et dénué de sens.
La crise de la COVID et l’introduction massive du télétravail a accentué encore cette perception en renforçant notamment un sentiment d’intensification des rythmes de travail, d’atomisation des collectifs de travail voire d’inégalité au travail. Face à ce mal-être, le management par le bonheur pourrait-il être une solution ?
Dans la recherche que nous avons récemment publiée , nous avons identifié que le management par le bonheur était utilisé comme une méthode spécifique de gestion du changement pour mettre en œuvre des programmes de transformation digitale au sein des entreprises. Le management par le bonheur se fonde sur l’idée que c’est en transformant les comportements individuels des salariés que l’on parviendra à mettre en œuvre les nouvelles pratiques de travail liées à la transformation digitale. En suscitant des émotions positives chez les salariés, le management par le bonheur parviendrait à faciliter l’acceptation et l’adoption de nouvelles pratiques de travail par les salariés.
Pourrait-on alors s’inspirer de ces démarches de management par le bonheur pour réduire le mal-être des salariés français ? Et bien oui et non !
Non, d’abord parce que comme le montre nos travaux, ces démarches ont eu des effets mitigés en fonction de leur mode de déploiement. Le management par le bonheur vise à transformer les comportements individuels des salariés mais pas l’organisation du travail elle-même. Or, ce qui créé le mal-être ce n’est pas forcément l’inadaptation du comportement des salariés au système managérial mais c’est souvent le système managérial lui-même, c’est-à-dire les modes de planification, de coordination et d’évaluation du travail au regard de la réalité du travail. Par exemple durant la crise de la Covid, la grande majorité des salariés français ont montré leurs capacités d’adaptation à une situation inédite. Les témoignages que nous avons collectés montrent que les taux de productivité n’ont pas réellement baissé durant cette période. Ils se sont même accrus dans certaines entreprises.
Aujourd’hui, les salariés français ne recherchent peut-être pas le bonheur au travail mais ils cherchent à faire un travail bien fait et à comprendre pourquoi s’investir dans un collectif. Alors, oui, de ce point de vue-là, certaines démarches de management par le bonheur que nous avons observées peuvent être efficaces. Il s’agit de démarches participatives permettant aux salariés d’exprimer ce qu’est collectivement leur vision du bonheur au travail et de travailler à mettre en place des outils, des espaces, des façons d’interagir favorisant cela. Ces pratiques, quand elles sont bien menées, sont sources de satisfaction au travail pour le salarié et de fidélisation des salariés les plus moteurs pour l’activité.
Ainsi, dans notre étude, nous avons identifié que l’entreprise BOUYGUES IMMOBILIER avait lancé à une période une démarche de management par le bonheur qui avait contribué fortement au développement d’émotions positives des salariés vis-à-vis du travail et qui avait facilité l’évolution des comportements des salariés pour adopter de nouvelles pratiques de travail. Cette démarche a été menée dans une optique participative et ouverte aux suggestions des salariés. Toutefois, suite à des évolutions de conjoncture, l’entreprise n’a pas pu aller au bout de la démarche en menant une véritable transformation organisationnelle complémentaire à cette transformation individuelle. Des pratiques de management par le bonheur se sont poursuivies mais les salariés s’en sont progressivement détachés comprenant que leurs propres implications individuelles pour changer n’étaient pas suivies d’effets au niveau de l’organisation. Le management par le bonheur est à double tranchant : pour ne pas être une mascarade porteuse de désillusion et de désengagement, il doit impérativement s’appuyer sur un véritable projet d’évolution du système managérial.
La question qui se pose aujourd’hui est de savoir si les entreprises sont prêtes à un tel investissement pour répondre au mal-être des salariés et s’assurer de leur pérennité.
Aurélie DUDEZERT
Professeur et Directrice de Recherche à lnstitut Mines Télécom- Business School
1 Dudezert, A., Laval, F., Shirish, A., & Mitev, N. (2023). When Companies Make Your Day: Happiness Management and Digital Workplace Transformation. Journal of Global Information Management (JGIM), 31(5), 1-35. http://doi.org/10.4018/JGIM.322386
à partir de 3,00 € par mois
pour un accès intégral au site et à nos services
0 COMMENTAIRE(S)